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André Pochon, l’un de nos référents « agriculture et biodiversité », témoigne et dénonce les impacts environnementaux, économiques et sociaux de la culture du maïs-fourrage :
En Bretagne le maïs-fourrage couvre 40% de la surface. Non seulement cette culture met à mal le revenu du paysan, mais elle est aussi le principal responsable de la pollution de la région en nitrates et en pesticides. Elle constitue une menace pour la biodiversité, contribue à la disparition du bocage, à la concentration des exploitations. Elle aggrave la pénurie d’eau et mine notre souveraineté alimentaire.
Comment nous sommes-nous laissés duper par cette plante magique ?
Le maïs arrive en Bretagne à la fin des années 1960. Les américains ont mis au point un maïs hybride qui peut pousser dans les régions tempérées comme la Bretagne. A grand renfort de publicité, ils nous exportent les semences de maïs hybride. Tout bénéfice pour eux, d’autant que, le maïs étant une plante très pauvre en protéines, ils nous exportent aussi leur tourteau de soja, dont ils regorgent. Bien joué les américains !
La Bretagne est inondée de semences de maïs hybride et l’élevage breton voit dans le maïs la plante miracle qui va le sauver. Dès lors, les chambres d’agriculture, les écoles, la presse agricole, les services de l’État, les coopératives et l’agro-industrie, tous vont faire la promotion du maïs. Les CETA en font autant. Président du CETA de Corlay, si je fais une réunion sur autre chose que le maïs, je n’ai plus personne ! Quelles variétés semer ? quelle densité de semis ? quelle machine pour le récolter ? quels silos et comment lutter contre les corbeaux, les sangliers ? et combien de kilos de soja par animal pour équilibrer la ration en protéines ? Et le comble l’INRA chantre des herbages s’y met aussi dans le maïs-fourrage : « oubliée la vache au pré, qui avec sa barre de coupe à l’avant et son épandeur à l’arrière, fait le travail toute seule ! ». L’INRA crée ses propres variétés de maïs hybride : INRA 201, INRA 202… Devant mon étonnement et ma réprobation, un chercheur éminent me répond : « Si l’INRA n’avait pas suivi , elle aurait perdu toute sa crédibilité ! »
On croit rêver. Pas une seule évaluation du coût que cela représente. Il faudra attendre l’étude du CEDAPA (Centre d’Études pour un Développement agricole plus autonome) en 1985 pour prouver, exemples à l’appui, qu’il en coûte trois fois plus cher de nourrir une vache au maïs plus soja que de la nourrir au pré.
Un président de coopérative dans son journal écrira « Fabuleux maïs, si tu n’étais pas là ! » Qu’importe. En 1972 le maïs est déclaré sinistré et les éleveurs toucheront une aide substantielle de l’État pour acheter la nourriture manquante pour leurs animaux. En 1974, le maïs est à nouveau déclaré sinistré. Il fut récolté en janvier dans des conditions épouvantables. Avec la remorque à demi-remplie on s’enlisait encore et il fallait un deuxième tracteur pour en sortir. Un entrepreneur de travaux agricoles venu du Morbihan, debout sur sa machine, s’écriait : « On aurait du maïs comme cela chez nous, jamais, jamais on n’en mettrait plus ! » En 1976, sécheresse, le maïs est sinistré à nouveau : ce fut la prime Giscard que tous les contribuables ont payée. Un journaliste écrira dans Ouest-France : « Une plante qui doit être subventionnée tous les deux ans pose un problème ».
Et pourtant, ça va continuer. Peu à peu, la Bretagne se couvre de maïs-fourrage. Sur mon exploitation de Saint-Bihy, ma mère (70 ans), personne de bon sens me dit : « Comment toi, Dédé Pochon qui est tant de progrès, pourquoi ne fais-tu pas du maïs aussi ? » Alors, après des années de résistance, sous la pression de ma mère, je m’y suis mis.
Nous avions la chance, mon épouse et moi-même, d’avoir un ami professeur d’histoire et de géographie à l’École Navale. Il a formé toute une génération d’amiraux qui auront été marqués pour la vie. C’était un savant. Or, au printemps 1972, alors que je lui faisais visiter avec enthousiasme mon champ de maïs qui venait de lever, il me dit : « Méfiez-vous ! cette plante n’est pas faite pour vous. » Il ne croyait pas si bien dire puisqu’en 1972 la récolte fut catastrophique.
Retrouvant mon bon sens, je me suis dit « Je nourrirai mes animaux avec n’importe quel fourrage ; j’en nourrirai plus en dépensant beaucoup moins ». J’ai arrêté immédiatement et suis revenu à mes belles prairies de trèfle blanc. A la fin de l’année j’avais 10.000 francs en plus dans mon portemonnaie.
Nous avons vécu plus de quarante années de gâchis et pourtant quelques sages nous avaient mis en garde. Robert Pense, paysan, lui-même ensileur de maïs fourrage, déclarait à qui voulait l’entendre : « Le maïs est une plante à chagrin : danger des corbeaux, des sangliers, du taupin, du printemps froid, des gelées précoces, de la tempête, des automnes pluvieux. » La plasticulture vient encore augmenter les coûts et aggraver la pollution et l’érosion.
L’arrivée du maïs en Bretagne a été une catastrophe économique pour les éleveurs. C’est avec le maïs que sont apparus ce qu’on a appelé les « cas difficiles ». Le ministre de l’agriculture viendra en personne à Saint Brieuc pour se pencher dessus. Les plus atteints furent les éleveurs de taurillons. La coopérative de l’Argoat de Guingamp préconisait : « Tout en maïs, tout en taurillons ». Elle a fermé boutique depuis longtemps, et aussi les éleveurs qui l’ont suivie.
Aujourd’hui, malgré un prix du lait élevé et une prime PAC considérable (prime à la vache, au veau, à l’hectare), les éleveurs laitiers se plaignent encore. Bien sûr, avec des prix du soja et des carburants élevés, produire du lait avec du maïs fourrage est très coûteux. Et ils persistent dans un système fourrager aberrant alors que les éleveurs herbagers, leurs voisins, gagnent trois fois plus en travaillant moins…
Le maïs fourrage est assurément une calamité économique ; sauf pour l’agro-industrie qui en vit : ventes de soja, de carburant, de matériel, de pesticides, de semences (le grain de maïs hybride ne se ressème pas) et j’en passe. Lors d’une grande réunion publique où un éleveur disait nourrir son troupeau à l’herbe, le directeur de la coopérative lui répondit : « Si tous mes adhérents faisaient comme vous, je n’aurais plus qu’à fermer ma boutique. »
Une catastrophe pour l’environnement
Jusqu’à la fin des années 1960, le taux de nitrates dans l’eau de la baie de Saint-Brieuc était de 2 mg au litre (réf. services de l’État). Avec l’arrivée du maïs fourrage, ce taux augmente chaque année pour dépasser les 50 mg/litre. Bien sûr, l’élevage industriel des porcs et des volailles y contribue aussi, mais aujourd’hui ces élevages sont très réglementés et les cultures intermédiaires piège à nitrates (CIPAN) participent activement à la baisse du taux de nitrates car ces CIPAN captent les reliquats d’azote présents dans le sol après la récolte.
Malheureusement la CIPAN est inefficace quand elle est semée derrière un maïs fourrage, trop tardivement : la végétation en fin d’automne-hiver est nulle, contrairement à une CIPAN semée derrière le blé au mois d’août. En pleine végétation, en automne-hiver une CIPAN va pomper le reliquat d’azote dans le sol derrière la récolte. Par contre, derrière la récolte du maïs l’azote sera lessivé pendant l’hiver. Et de plus, le maïs fourrage ne craint pas la verse. On peut donc lui mettre des quantités de lisier sans problème. Durant des années, le maïs a été un dépotoir à lisier jusqu’à 500 kg d’azote / hectare. Aujourd’hui, la réglementation l’interdit mais la tentation est grande pour l’agriculteur d’épandre son lisier en excédent. Ni vu ni connu ! Comment contrôler les tonnes à lisier ? On ne peut mettre un contrôleur dans chaque exploitation. Dans nos manifestations, nos pancartes « Maïs + lisier : algues verts assurées » restent d’actualité. C’est pourquoi le maïs est le roi de la pollution. Avec 40% de la surface fourragère en maïs fourrage, comme c’est le cas aujourd’hui en Bretagne, la pollution est inévitable.
On ne règlera pas le problème des algues vertes en Bretagne tant qu’on n’aura pas réduit les surfaces en maïs fourrage à 10%, un maximum. L’idéal serait de les supprimer complètement. L’éleveur serait le premier gagnant.
La région tout entière le serait aussi. C’est en effet la culture du maïs fourrage qui a provoqué l’agrandissement des parcelles, la disparition du bocage par l’arasement des talus, le drainage de zones humides et, finalement, la disparition d’un grand nombre d’exploitations. Et la biodiversité en a pris un sacré coup : où sont les perdrix dans les champs, les pies, les tourterelles … Les chasseurs ne s’y trompent pas en considérant le maïs comme une calamité.
Plus grave, les pesticides : pendant des années, les champs ont été arrosés d’Atrazine, herbicide reconnu dangereux pour la santé. Vingt ans après son interdiction, on en retrouve toujours dans l’eau. Remplacé par le métolachlore, cette nouvelle molécule est également déclarée dangereuse. On la retrouve dans l’eau distribuée dans les réseaux. Certaines communes comme Saint-Mayeux ont dû fermer leur captage et se brancher sur le barrage de Kernéhuel. Hélas, celui- ci contient aussi du métolachlore. Devant cette situation, il est question d’interdire aussi cette molécule malgré l’opposition farouche des maïsiculteurs.
Et il y a le problème de l’eau. La végétation du maïs, contrairement à celle des céréales, se fait en été. Si le réchauffement climatique multiplie les sécheresses comme en Bretagne en 2022, l’arrosage du maïs se généralisera, consommant une eau si précieuse par ailleurs.
Ce n’est pas tout. Le problème de la souveraineté alimentaire est lié au maïs. La moitié de notre importation de soja est due à la complémentation en protéines du maïs-fourrage. Retrouver notre autonomie en protéines c’est en premier lieu le retour à un système fourrager herbager qui, lui, est parfaitement équilibré, voire excédentaire en protéines.
Alors, pourquoi s’obstiner dans une culture si funeste ? Coûteuse, elle met à mal le revenu du paysan, elle est le principal responsable de la pollution de l’eau en nitrates et en pesticides, elle met à mal la biodiversité, par la disparition du bocage, pousse à la concentration des exploitations, aggrave la pénurie d’eau et mine notre souveraineté alimentaire.
Enfin, la monoculture du maïs provoque une baisse du taux de matière organique : en 5 années de maïs sur maïs , ce taux peut tomber de 3 à 2%. Le sol devient compact, difficile à travailler et les rendements baissent. Le manque d’humus dans le sol ne retient plus l’humidité, et une sécheresse éventuelle sera plus néfaste.
Oui, le maïs est bien notre ennemi numéro un, tant sur les plans économique, que social et environnemental ! Si la majorité des paysans ne veut pas l’entendre, il faudra les y contraindre. Il suffit de conditionner les aides PAC à la diminution, voire à la suppression du maïs-fourrage. Ce ne sera que bénéfice pour leurs revenus et pour le bien public.